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Bali vernes en herbe
30 juillet 2010

Extrait


Ce texte, pour se souvenir que derrière les plus beaux paysages,  



… j’ai pleuré la douleur de cette mère vietnamienne qui a assisté à l’exécution de son fils. Ce jeune fils, une heure avant sa mort, courait, cheveux aux vents, à travers les rizières afin de transporter des messages  d’un homme à un autre, d’une main à une autre, d’une cachette à une autre pour préparer la révolution, pour prêter main-forte à la résistance, mais aussi parfois pour faire voyager un simple mot d’amour.

Ce fils, il courait avec son enfance dans les jambes. Il ne voyait pas le risque réel de se faire attraper par les soldats du camp ennemi. Il avait six ans, peut-être sept. Il ne lisait pas encore. Il savait juste tenir fermement dans ses mains le bout de papier qu’on lui avait remis. Mais une fois capturé, debout au milieu des fusils pointés vers lui, il ne s’est plus souvenu de la destination de la course, ni du nom du destinataire de la note, ni du lieu exact de son lieu de départ. La panique l’a fait taire. Les soldats l’ont tu. Son corps frêle s’est affaissé au sol alors que les soldats sont repartis en mâchant leur gomme. Sa mère a couru à travers cette rizière où les traces des pieds de son fils étaient encore fraîches. Malgré le bruit de la balle qui avait déchiré l’espace, le paysage restait le même. Les jeunes pousses de riz continuaient à être bercées par le vent, impassibles devant la brutalité de ces amours trop grands, de ces douleurs trop sourdes pour que les larmes coulent, pour que les cris s’échappent de cette mère qui recueillait avec sa vielle natte le corps de son fils à moitié enfoncé dans la boue.  

Kim Thuy « Ru » - Editions Liana Levi



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